Thu. 16/12/2004 - 20:30
Rainbowhouse

Gays et lesbiennes dans l'espace ou Bruxelles l'homosexuelle


- Bruxelles est-elle une ville homosexuelle ? Le revendique-t-elle ?

- Quels sont les quartiers et territoires gays et lesbiens de Bruxelles, quartiers de vie, quartiers de sortie, quartiers de consommation ?

- Les homos à Bruxelles, vivons heureux, vivons cachés ?

- Minorité homosexuelle et autres minorités de Bruxelles : une cohabitation heureuse ?

- Pédés des villes, pédés des champs, quelles différences, quelles rencontres ?
La gueulante du 16 décembre 2004 a abordé la notion de territoire urbain, en particulier, celui des gays et des lesbiennes à Bruxelles (au départ de la présentation d'un travail de géographie réalisé sur ce thème).

Comment les homos vivent-ils/elles la ville, comment les pédégouines s'y meuvent-ils/elles ? S'y sentent-ils/elles bien ? Ont-ils/elles des espaces privilégiés voire des territoires ? et si oui, comment se marque-t-il ? La « communauté » homosexuelle s'approprie-t-elle un certain type d'espace urbain, a-t-elle des stratégies urbaines de résidence, de déplacement ?

Le problème de départ pour aborder un tel sujet c'est évidemment la notion de communauté homosexuelle. On sait bien que nos sentiments d'appartenance sont multiples. Certaines personnes se considèrent comme homosexuels d'un jour, d'autres de toujours, sans pour autant forcément toujours l'affirmer. La « communauté » est-elle la même pour les hommes et pour les femmes ? Combien sommes-nous à nous en revendiquer ?

La question est évidemment vaste mais il faut l'avoir à l'esprit pour éviter de croire que les quelques données qui ont été présentées seraient la traduction de l'existence d'une seule et univoque communauté.

{Bruxelles dans le monde}
Pour rendre compte de l'espace urbain homo bruxellois, on peut cartographier ce qu'il y a de plus visible. Bruxelles a en effet la chance d'arborer un certain nombre de signes et de manifestations que l'on peut clairement qualifier de culture et marché homosexuels (les associations, les bars, les cafés, les boîtes, les commerces mais aussi les festivals, les gay pride etc). Au niveau mondial, Bruxelles se trouve même au cœur de la zone où ces manifestations sont les plus denses.

La grande ville du centre européen est le lieu par excellence de cette signalétique territoriale. Trois-quarts de la communauté gay allemande par exemple résident dans les villes de plus de 500 000 habitants. Berlin compte 280 000 homosexuels, soit 8,3% de la population. A Bruxelles, si on applique un pourcentage de 4 à 10% d'homos dans la population, il y aurait quelques 40 à 100 000 pédégouines.
D'après une petite enquête menée auprès de 125 personnes se déclarant homosexuelles, gays ou lesbiennes, à Bruxelles, on constate effectivement qu'une grande proportion d'entre nous est originaire de l'extérieur de la ville mais, ce qui est plus intéressant, c'est que ces proportions sont assez différentes selon qu'il s'agisse des hommes ou des femmes. Pour les hommes, près d'un quart est né hors Belgique, tandis que chez les femmes, seul 1/8 est dans ce cas.
Bref la notion de mobilité est très différente pour hommes et pour les femmes.

{La ville visible, le centre}
Ce qui frappe quand on cartographie les lieux homos de Bruxelles, c'est est la centralité : pour résumer, 3 rues sont labellisées arc-en-ciel et elles concentrent une majorité des lieux homos bruxellois. Cette présence des homos au centre-ville participe clairement au processus de revitalisation du centre urbain qui a cours depuis une 15zaine d'années.

Toutefois, cette évidente centralité est nuancée par un rapport de genre : la plupart des bars masculins sont au centre du centre, tandis que les lieux exclusivement féminins sont situés à la périphérie (sans compter qu'ils sont plus éphémères). Surtout, on note la discrétion des lesbiennes dans le marquage du territoire (les femmes développant visiblement plus des réseaux d'amies). Le mode de rencontre influe sur cette géographie. (Pour les hommes = les lieux publics, la vie quotidienne et multiplicité/ pour les femmes = amies, boîtes et monde du travail). On retrouve donc une ségrégation sexuée classique des espaces (dedans-femmes/dehors-hommes). Petite exception : les zones de drague et de prostitution masculine se trouvent elles-aussi en périphérie du centre homo.

L'évolution de cette géographie de la centralité entre 1980 et 2000 est intéressante : autrefois il y avait prédominance des lieux de sortie (bars et boîtes) sur les lieux de commerces (les associations n'existaient pas avec pignon sur rue). Curieusement, il y avait plus de lieux de sortie qu'aujourd'hui (d'après les recensements officiels). De plus la centralité n'était pas tout-à-fait la même : en 1980, les lieux de sortie surtout masculins se trouvaient tous ou presque tous de l'autre côté du boulevard, autour des halles Saint-Géry... qui ne ressemblaient pas du tout à ce qu'on connaît aujourd'hui mais qui se trouvaient dans un quartier plutôt délabré et fréquenté par un monde plus interlope.

{Les stratégies de résidence et déplacement}
Pour essayer de tracer des « stratégies » de résidence des gays et lesbiennes bruxellois, nous avons procédé à une analyse des chiffres de mariages homosexuels contractés dans les 6 ou 7 premiers mois d'entrée en application de la loi (juin-février 2003). A côté de la commune de Bruxelles (Ville), les communes de l'est de Bruxelles (c'est-à-dire les plus aisées) ressortent clairement (en particulier Saint-Gilles, Ixelles, Schaerbeek et Boitsfort).

Lorsqu'on s'intéresse au lieu de résidence des personnes interrogées dans l'enquête, on constate également cette fracture est-ouest mais autre chose aussi : la prédilection des homos pour une résidence dans ce qu'on appelle la première couronne, c'est-à-dire les communes qui entourent le centre-ville et donc aussi au tissu urbain le plus dense.

Cette réalité permet de souligner une fois encore sur la prédilection urbaine (à opposer au péri-urbain) des homos. De plus, 70% des personnes interrogées dans l'enquête déclarent que leur idéal d'habitat est en ville (contre 14% qui rêvent d'habiter à la campagne)

On peut donc dire que la communauté homo à Bruxelles participe aussi à la « gentrification » c'est-à-dire au processus de remplacement d'une population pauvre ou défavorisée par une autre aux revenus plus élevés et qui s'accompagne d'une rénovation du bâti et de l'espace urbain (les quartiers types de la gentrification sont le quartier Saint-Géry, le haut de Saint-Gilles, certains quartiers d'Ixelles, le sud de Scharbeek + les environs de la place Dailly, et aussi les anciens noyaux villageeis des communes bruxelloises, comme le Coin du balai à Boitsfort...).
Donc il y a similitudes entre localisation des homos et phénomène de gentrification.

Le dernier aspect géographique de la présence homo à Bruxelles est ce qu'on pourrait appeler la carte mentale de la ville, c'est-à-dire comment les homos se représentent la ville. Pour essayer de faire apparaître cette carte mentale, on a opposé les zones de sorties aux zones ressenties comme non sécurisées. Même si ces dernières zones ne sont peut-être pas fondamentalement différentes de ce que pointerait le « Bruxellois blanc, hétéro et +/- aisé ou branché », elles montrent quelles sont les zones exclues de la carte mentale des personnes que nous avons interrogées : Molenbeek, Anderlecht, Saint-Josse et Schaerbeek.

{Conclusion en forme de questions}

1°-Pour être heureux vivons discrets à l'est, consommons et exprimons-nous au centre ?

2°-Les enjeux/dangers ne sont pas la ghettoïsation, (Bruxelles est trop petit de toute façon mais en plus il n'y a pas de ghetto) mais le danger c'est la limitation de l'horizon de l'expression homosexuelle. La Gay Pride par exemple reflète bien sûr le « droit de cité » acquis par les homosexuel-le-s à Bruxelles mais limite son horizon aux lieux de sorties et aux quelques quartiers labellisées « homos ».

Question concrète dès lors : à l'heure où la Gay Pride fait comme un peu le tour du marché homosexuel,en dehors de toute transgressivité et subversivité qu'elle a pu un jour avoir, l'enjeu ne serait-il pas de repenser son parcours en se demandant si elles ne pourraient pas aussi passer par des communes où nous résidons ou par des endroits qui sont vécus comme ceux de « l'insécurité » ? L'organisation de la prochaine Gay Pride est en cours... C'est peut-être le moment de se poser la question.

Chloé Deligne
Avec la participation de Chloé Deligne et Koessan Gabiam, géographes en herbe, Université Libre de Bruxelles.

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